Mur 1

C’est pas très original comme idée mais, hier matin, je suis parti me faire une série de croquis sur le mur. C’est pas bien difficile de le trouver quand on habite Jérusalem est, on est pratiquement entouré. J’ai donc pris ma voiture et je me suis baladé dans l’arrière quartier.

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J’ai pas pu terminer celui-là. Un jeep blindé de la police arrive pendant que je dessinais le long d’une route abandonnée.
– “Qu’est-ce que vous faites là ?”
– “Euh… je dessine.”
– “Dessinez? Vous dessinez quoi ? ”
– “Euh… le mur”, dis-je, en observant l’expression sur le visage de mon interlocuteur passer de l’indifférence à la consternation.
Il me demande mon nom, jette un coup d’œil sur mon passeport.
– “Vous pouvez pas rester ici, c’est pas une route pour les civils.”
– “Ah.”

Parcours du non combattant

Depuis le début de l’offensive sur Gaza, MSF a fait venir toute une équipe d’expatriés prêts à se rendre là où on a besoin d’eux. Un chirurgien vasculaire, un chirurgien orthopédiste, un anesthésiste, un infirmier de bloc et un coordinateur d’urgence. Ils arrivent d’un peu partout, Italie, Norvège, France, etc. La guest house s’étant remplie rapidement, on a eu l’occasion, la semaine dernière, d’héberger un des deux chirurgiens, celui-ci est tchèque. Un garçon très doux au physique de joueur de hockey qui a réussi à se prendre deux semaines de vacances pour venir aider les Gazaouis en détresse. Aujourd’hui c’est Sabbat, le checkpoint pour se rendre à Gaza est fermé, il faut attendre demain pour essayer de passer.

Le lendemain, bonne nouvelle, toute l’équipe reçoit le feu vert du gouvernement pour passer le checkpoint d’ Erez. Mais il y a un problème, juste après le passage, il faut traverser à pied un no man’s land de 800 mètres en terrain découvert et les combats y font rage. Une première solution consiste à habiller tout le monde avec des gilets pare-balles et des casques en kevlar mais finalement MSF se refuse à prendre un tel risque pour ses employés. Une deuxième solution est possible avec l’aide de l’ONU. Pour ça, il faut les convaincre de venir chercher l’équipe médicale dans un de leurs camions blindés. Les contacts se prennent au téléphone, l’ONU est d’accord mais pour le lendemain seulement. Une autre journée passe, le nombre de victimes à Gaza dépasse maintenant les 600. Le soir, je retrouve notre chirurgien tchèque à la maison qui se prépare à partir.

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Le lendemain, rien ne va plus. L’ONU ne veut plus risquer de se rendre à Erez. Un de leurs chauffeurs est mort après s’être fait tirer dessus il y a quelques jours, c’est trop dangereux. Qu’à cela ne tienne, MSF envoie tout ce beau monde en Égypte pour passer par la frontière sud de Gaza où la situation est plus calme. De là, l’ONU est d’accord pour aller les chercher. Les voilà partis en avion, escale à Amman, terminus au Caire où ils passent la nuit. Le lendemain, ils prennent un transport jusqu’à Rafah, la ville la plus proche du checkpoint sud. Sur place, c’est la foire d’empoigne. Toute les ONG petites et grandes font le pied de grue dans l’espoir de pouvoir passer. De plus, les Égyptiens demandent, pour chaque personne voulant passer, une autorisation écrite de leur ambassade. Il faut donc contacter la France, le Japon, la république tchèque, l’Italie et la Norvège sans perdre de temps. La France et la Norvège ne posent pas de problème, la République tchèque et l’Italie refusent d’envoyer des ressortissants sous les bombes, Le Japon est injoignable. Deux autres journées sont passées, l’équipe commence à s’énerver et à perdre patience.

Pendant ce temps, les autorités israéliennes annoncent que le passage du nord ouvrira demain. Cette fois-ci, l’équipe est divisée en deux. Une partie reste en Égypte, on ne sait jamais, et l’autre retournera au checkpoint d’Erez en voiture. Le seul passage possible pour franchir la frontière par voie terrestre se trouve tout au sud d’Israël, à côté de Eilat. Obligés d’être accompagnés par un policier égyptien (qu’ils ont dû attendre une partie de la soirée), ils traversent durant toute la nuit, le désert du Sinaï. Une fois là-bas, les gardes-frontière les retiennent jusqu’au petit matin. Des heures à se faire fouiller et à se faire poser des questions. Ils finissent par entrer en Israël, un autre quatre heures de route  pour arriver jusqu’au checkpoint nord de Gaza. De là, il faut encore attendre, les autorités annoncent d’abord que le checkpoint ouvrira le matin, ensuite que ce sera cet après-midi et finalement rien n’est certain, ils n’ouvriront peut-être pas.

Enfin, le passage s’ouvre durant le cessez-le-feu de 13h à 15h. Une voiture de MSF vient les chercher et ils s’intègrent à un convoi de la Croix-Rouge International, ils portent quand même un gilet pare-balles et un casque pour se protéger. Ils arrivent finalement à Gaza city dans l’après-midi, épuisés et extrêmement frustrés. Mais une fois sur place, devant l’étendue de cette catastrophe humanitaire, les rancœurs s’effacent et le professionnalisme reprend le dessus. Toute cette galère en valait le coup. Notre chirurgien tchèque, après avoir perdu au total 6 précieuses journées, prolonge son séjour d’une semaine supplémentaire. On estime à plus de 5000 le nombre de blessés pendant les 22 jours qu’aura duré cette offensive ! Pour l’équipe médicale, c’est le début d’un long voyage.

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Rome V

Gros-Jean comme devant, je quitte Rome et m’en retourne à l’aéroport. A nouveau, je me retrouve avec une série de questions à répondre au préposé à la sécurité avant de faire mon check-in. Cette fois-ci, c’est une jeune femme, plutôt mignonne, mais aussi aimable qu’un fonctionnaire chinois. A l’évocation des mots magiques : Beit Hanina, ONG et Gaza, aucune expression n’apparaît sur son visage mais je sens quand même que je ne suis pas sorti de l’auberge. On m’indique une chaise dans un coin où je suis invité à attendre. Je m’assois, une demi-heure plus tard, le chef de sécurité arrive. Il s’excuse de m’importuner mais pour des raisons de sécurité, il doit me poser quelques questions. Allons-y, le départ de mon vol approche. Je lui répète les réponses que je viens de donner à son assistante. Il a pas l’air de vraiment me croire. Pourtant, j’ai le catalogue du festival avec ma photo dedans et deux exemplaires de mon album en italien. Il veut faire une fouille corporelle mais il doit avoir mon accord. Bon, OK, allons-y pour la fouille. Derrière les comptoirs d’embarquement, on passe dans une petite pièce. Là, un carabinieri me fouille des pieds à la tête. Heureusement que ça ne va pas plus loin, j’aurais refusé. J’aperçois ma valise sur une table, ils veulent la fouiller aussi. Faites-vous plaisir. Je retourne m’asseoir, une autre demi-heure passe. Je commence à m’inquiéter pour mon vol. Le chef de la sécurité revient avec d’autres questions. Je commence à en avoir plus que marre mais je ne laisse rien paraître. “Et ça vous plaît Beit Hanina comme quartier ?” me demande-t-il. Je lui fais part de ma déception contrairement à ce que j’imaginais de Jérusalem. On marche dans les détritus, pas de parcs pour enfants, rien à y faire, mais comme les ONG doivent être du côté Palestinien de la ville, on est coincé là pour l’année. J’en rajoute un peu mais pas tant que ça. J’ai dû avoir l’air convaincant. Les traits de son visages se sont soudain adoucis, il s’est excusé du dérangement, que ce serait bientôt fini et qu’il s’occuperait bien de moi. Devais-je prendre ça comme une bonne nouvelle ? J’en doutais.
Une jeune fille vient me chercher, on passe directement à l’embarquement. On a un peu de temps devant nous, je lui demande si je suis autorisé à faire quelques courses. Pas de problème, elle me suit acheter une bouteille de Bailey’s, du fromage et un magazine. Je fais le tour de l’aéroport à la recherche d’un petit cadeau pour les enfants mais sans succès. Un dernier expresso avant d’embarquer et je lui dis au revoir. Elle me suit quand même jusqu’à la porte de l’avion. A l’intérieur, surprise, je suis en première classe. Yes! Tout est bien qui finit bien comme dirait l’autre. Sauf que je n’étais pas encore au bout de mes peines.

Aéroport Ben Gourion de Tel Aviv. Au moment de présenter mon passeport pour entrer dans le pays, on me demande d’aller patienter dans le coin, là-bas. Pourquoi ? C’est dans le coin, là-bas. Je m’assois avec un sentiment de déjà-vu assez prononcé. Un demi-heure passe avant qu’on vienne me chercher. Un homme assez âgé me pose des questions tout en remplissant un questionnaire. J’ai pas l’air de lui faire trop peur (sauf quand je lui dis que je n’ai pas de téléphone portable), l’entretien dure 15 minutes. Je retourne m’assoir, j’attends de récupérer mon passeport. Une heure passe, d’autres heureux élus se joignent à moi. Il y a une télé au-dessus de ma tête, et en face, un policier qui a l’air de faire une pause en regardant son match de foot. J’en profite pour sortir mon carnet de croquis.

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Vient enfin le moment de me rendre mon passeport. Je file récupérer mon bagage. Le convoyeur pour mon vol est vide, il ne tourne même plus. Je m’informe à la réclamation, il doit être par là-bas. Où ça ? Mais là voyons. Où ? Je fais le tour des convoyeurs, rien, je le retrouve enfin le long d’un mur avec toute une brochette de valises abandonnées. Je vais quand même prévenir de mon retard. Je trouve une cabine, cherche de la monnaie, rien dans les poches. J’ouvre ma valise, tout est sens dessus dessous. Tiens, mais le catalogue du festival est curieusement collant. C’est du miel, il y en a partout. Le petit pot que j’avais pris à l’hôtel a dû être mal replacé lors de la fouille et dans le transport, ça s’est pété. Bon, je verrai ça plus tard, je referme le tout laissant des traces partout. Je cours jusqu’au taxi-bus direction Jérusalem. Avant de partir, le chauffeur demande à chacun où ils veulent être déposés. Tout le monde y va de son quartier. Vient mon tour, Beit Hanina.
Beit Hanina ? Ah non, je dépose pas dans les quartiers arabes.
– Va fanculo.

Rome I

Je suis nominé pour un prix dans un festival à Rome. Du coup, mon éditeur m’y invite au cas où je gagnerais. O joie ! Je n’ai jamais mis les pieds dans la capitale italienne.

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A l’aéroport de Tel Aviv, pendant que je dessine ce croquis, je ne peux pas manquer d’observer un juif orthodoxe qui se balance, debout, tout près de la fenêtre. J’ai vu la même chose devant le mur des lamentations, il doit donc être en train de prier. Tiens donc, ses prières doivent être destinées à l’avion qui est en face de lui. Ça tombe bien, c’est aussi celui que je vais prendre. Soudain, j’ai presque envie d’aller l’encourager.

Le chien

Le prophète n’aimait pas les chiens, c’est ce qu’on m’écrit pour m’expliquer l’aversion des musulmans envers ces animaux. Oui, mais pourquoi n’aimait-il pas les chiens, le prophète ?

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L’autre jour, en plein ramadan mon voisin bricolait dans la cour. Un chien tournait autour de lui et comme il ne voulait pas le toucher, il demandait de l’aide auprès d’un expatrié espagnol pour qu’il le tienne à distance le temps qu’il finisse son travail. J’ai appris plus tard que ce chien appartenait à mon proprio qui se trouve être le frère de ce brave bricoleur. Contrairement à son frère, mon proprio a habité à l’étranger et, j’imagine que là-bas, il s’est habitué à leur présence. C’était la première fois que je voyais cette bête. Où pouvait-elle se trouver habituellement ? C’est alors que je compris d’où venait tous ces curieux bruits au-dessus de notre appartement. Pendant un temps, j’ai imaginé un rat mais je préférais ne rien dire pour ne pas alerter ma compagne. Donc de jour comme de nuit, le proprio laisse ce chien errer sur le toit de notre immeuble qui est construit en terrasse comme toutes les habitations du coin.
Les jours suivants, je n’arrive plus à m’enlever cette image de chien courant et grattant au-dessus de ma tête et maintenant je trouve ça insupportable alors qu’avant, je n’y prêtais aucune attention. Après une préparation psychologique d’au moins 3 semaines, je décide d’aller en parler à mon proprio. Je le trouve derrière l’immeuble en pleine construction d’une énorme cage, style chenil. Très bien, voilà une bonne initiative : fini le bruit, et cette brave bête pourra s’amuser avec les enfants du quartier. C’est là où je me fourvoyais complètement.
Depuis qu’il est descendu de son toit, ce pauvre chien reste derrière ses quatre murs grillagés. Pas une fois je ne l’ai vu ailleurs que dans cette cage. Les enfants viennent le voir comme on va voir un ours au jardin zoologique. Du haut de ma fenêtre, je jette parfois un coup d’œil pour voir s’il y a du changement mais à part le nombre de crottes qui s’accumulent, rien. Une fois par semaine, quelqu’un nettoie. Et comment s’appelle cette malheureuse créature ? LUCKY ! Ça ne s’invente pas.