Depuis le début de l’offensive sur Gaza, MSF a fait venir toute une équipe d’expatriés prêts à se rendre là où on a besoin d’eux. Un chirurgien vasculaire, un chirurgien orthopédiste, un anesthésiste, un infirmier de bloc et un coordinateur d’urgence. Ils arrivent d’un peu partout, Italie, Norvège, France, etc. La guest house s’étant remplie rapidement, on a eu l’occasion, la semaine dernière, d’héberger un des deux chirurgiens, celui-ci est tchèque. Un garçon très doux au physique de joueur de hockey qui a réussi à se prendre deux semaines de vacances pour venir aider les Gazaouis en détresse. Aujourd’hui c’est Sabbat, le checkpoint pour se rendre à Gaza est fermé, il faut attendre demain pour essayer de passer.
Le lendemain, bonne nouvelle, toute l’équipe reçoit le feu vert du gouvernement pour passer le checkpoint d’ Erez. Mais il y a un problème, juste après le passage, il faut traverser à pied un no man’s land de 800 mètres en terrain découvert et les combats y font rage. Une première solution consiste à habiller tout le monde avec des gilets pare-balles et des casques en kevlar mais finalement MSF se refuse à prendre un tel risque pour ses employés. Une deuxième solution est possible avec l’aide de l’ONU. Pour ça, il faut les convaincre de venir chercher l’équipe médicale dans un de leurs camions blindés. Les contacts se prennent au téléphone, l’ONU est d’accord mais pour le lendemain seulement. Une autre journée passe, le nombre de victimes à Gaza dépasse maintenant les 600. Le soir, je retrouve notre chirurgien tchèque à la maison qui se prépare à partir.
Le lendemain, rien ne va plus. L’ONU ne veut plus risquer de se rendre à Erez. Un de leurs chauffeurs est mort après s’être fait tirer dessus il y a quelques jours, c’est trop dangereux. Qu’à cela ne tienne, MSF envoie tout ce beau monde en Égypte pour passer par la frontière sud de Gaza où la situation est plus calme. De là, l’ONU est d’accord pour aller les chercher. Les voilà partis en avion, escale à Amman, terminus au Caire où ils passent la nuit. Le lendemain, ils prennent un transport jusqu’à Rafah, la ville la plus proche du checkpoint sud. Sur place, c’est la foire d’empoigne. Toute les ONG petites et grandes font le pied de grue dans l’espoir de pouvoir passer. De plus, les Égyptiens demandent, pour chaque personne voulant passer, une autorisation écrite de leur ambassade. Il faut donc contacter la France, le Japon, la république tchèque, l’Italie et la Norvège sans perdre de temps. La France et la Norvège ne posent pas de problème, la République tchèque et l’Italie refusent d’envoyer des ressortissants sous les bombes, Le Japon est injoignable. Deux autres journées sont passées, l’équipe commence à s’énerver et à perdre patience.
Pendant ce temps, les autorités israéliennes annoncent que le passage du nord ouvrira demain. Cette fois-ci, l’équipe est divisée en deux. Une partie reste en Égypte, on ne sait jamais, et l’autre retournera au checkpoint d’Erez en voiture. Le seul passage possible pour franchir la frontière par voie terrestre se trouve tout au sud d’Israël, à côté de Eilat. Obligés d’être accompagnés par un policier égyptien (qu’ils ont dû attendre une partie de la soirée), ils traversent durant toute la nuit, le désert du Sinaï. Une fois là-bas, les gardes-frontière les retiennent jusqu’au petit matin. Des heures à se faire fouiller et à se faire poser des questions. Ils finissent par entrer en Israël, un autre quatre heures de route pour arriver jusqu’au checkpoint nord de Gaza. De là, il faut encore attendre, les autorités annoncent d’abord que le checkpoint ouvrira le matin, ensuite que ce sera cet après-midi et finalement rien n’est certain, ils n’ouvriront peut-être pas.
Enfin, le passage s’ouvre durant le cessez-le-feu de 13h à 15h. Une voiture de MSF vient les chercher et ils s’intègrent à un convoi de la Croix-Rouge International, ils portent quand même un gilet pare-balles et un casque pour se protéger. Ils arrivent finalement à Gaza city dans l’après-midi, épuisés et extrêmement frustrés. Mais une fois sur place, devant l’étendue de cette catastrophe humanitaire, les rancœurs s’effacent et le professionnalisme reprend le dessus. Toute cette galère en valait le coup. Notre chirurgien tchèque, après avoir perdu au total 6 précieuses journées, prolonge son séjour d’une semaine supplémentaire. On estime à plus de 5000 le nombre de blessés pendant les 22 jours qu’aura duré cette offensive ! Pour l’équipe médicale, c’est le début d’un long voyage.